Fabriquer la violence

 

Toute institution

a tendance à fabriquer de la violence

    Questions à Jacques Pain, professeur de sciences de l’éducation :

  « Toute institution a tendance à fabriquer de la violence »

                                                                                                   (13 mai 2005)


Qu’est-ce que la violence institutionnelle ?

Pour définir la violence institutionnelle, il faut définir le terme « violence ». L’étymologie (racine : vis : force) nous renvoie à « l’usage de la force » dans des situations déterminées pour résoudre des difficultés ou des problèmes.

A partir de cette définition, on peut construire une double échelle. La première considère la violence physique, verbale, le harcèlement…soit tout ce que sanctionne socialement le code pénal. La seconde vient prolonger la première : il s’agit de préjudices plus discrets, de violences « d’attitudes », qui ont lieu dans les institutions. Les attitudes de mépris, le refus de la parole, l’évitement, le mutisme, le favoritisme…font partie de ces violences visibles et « invisibles », qui ne sautent pas à l’œil.

Je définirai désormais la violence comme de l’abus, sous toutes ses formes et en tout lieux, un abus qui nuit à l’intégrité des personnes.

Quant à l’institution, un mot qui fait souvent peur parce qu’il renvoie fantasmatiquement à une grosse machine « surmoïque », c’est ce qui soutient la relation humaine ; il s’agit du bureau, de l’école, de l’association, de l’entreprise, de la famille, etc. L’institution, omniprésente dans notre société, règle et prédéfinit l’objet et le comportement des personnes.

Les violences institutionnelles, à dimension pénale ou « infra-invisible » ne sont pas le fait des seules personnes. Elles sont toujours liées, en totalité ou en partie à l’institution elle-même et à ses dysfonctionnements de « personne morale ». Les pathologies des uns ou des autres vont ensuite s’accorder avec ces dysfonctionnements structuraux.

Enfin, il faut dire que la plupart des violences institutionnelles ne se font pas à l’insu des personnes. Tout ou partie du personnel est au courant et les tolère, pour des raisons ou des intérêts personnels de « maintenance ».


Quelles institutions peuvent produire de la violence ?

Toutes, à partir du moment où des dysfonctionnements apparaissent. Bien sûr, la taille de l’institution va jouer. Plus elle sera grande et anonyme, plus les risques seront majeurs.

A partir des travaux de Stanislas Tomckiewicz (1) on peut dresser un portrait-type de l’institution violente :

Elle est d’abord autoritaire et charismatique, le réseau de communication interne y est restreint et il y a peu de concertation, mais les personnels s’y trouvent souvent bien. C’est aussi une institution fermée, où il n’y a pas beaucoup de transparence, pas d’accès à la vie de l’institution. En général, il y a une théorie de référence institutionnalisée, qui prédomine et qui est figée, voire totalitaire. Enfin, c’est une institution qui fonctionne d’abord pour elle-même et pour son personnel, afin de maintenir son objet. Elle oublie « l’usager ».

On peut distinguer trois types d’institutions :

Les premières sont normalement névrosées, ordinaires, où on se tient et où certains vont bien, d’autres plus mal ; où les conflits et la parole ont cours ; où la hiérarchie est claire, repérée, discutante. Les conflits sont gérés.

Les secondes sont anormalement névrosées, par leurs directions, la plupart du temps, qui se débattent entre le contrôle et l’emprise, sans ligne de conduite, s’attachant à personnaliser les réussites et les erreurs, à côté du collectif et du mouvement commun.

Les dernières, je les dis « psychotiques » : l’exclusion, la victimation, sont des épisodes attendus ou craints, mais prévisibles. Il n’y a pas de repère conducteur dans la vie institutionnelle.

Toute destructuration de l’institution touche au psychisme du collectif qui y travaille. Si les effets de pouvoir prennent le dessus, il règne une angoisse diffuse qui peut engendrer une violence «  institutionnelle ». Elle se traduira par des comportements répétitifs qui s’inscriront dans la durée.

Comment s’en prémunir ?

Il faut d’abord la repérer grâce aux critères que j’ai précédemment cités.

L’état des lieux d’une institution- scolaire par exemple (toilettes sales, portes trouées, serrures défoncées), l’accueil qui y est offert mais aussi la qualification du personnel, et la compétence de la direction vont être des critères décisifs pour détecter la violence.

Le manque de repères des rôles et des statuts au sein de l’institution et l’existence de jeux d’influence et de pouvoir sont aussi de bons indicateurs.////

De même, l’absentéisme fort ou le taux de rotation du personnel sont révélateurs de dysfonctionnements.

Toute institution a tendance à se refermer sur son fonctionnement et à créer de la violence. La mise en place de bilans réguliers peut être salvatrice. Je connais des institutions qui font venir des analystes extérieurs pour évaluer la situation en leur sein. Il m’arrive régulièrement d’être appelé et d’établir un diagnostic de certains établissements pour repérer les dysfonctionnements.

Les machines humaines ont besoin d’analyse.


(1) Tomkiewicz Stanislas, (pédiatre et psychiatre), L'Adolescence Volée, Édition Calman Levy, Paris, 1999.


                                                                                                                        Jacques Pain

                                                                                                                       interview, 2005