tendresse et violence

 


Ce texte n’a pas été publié, il s’agît d’une conférence faite à Lausanne en 1998.


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Mireille Cifali

Professeur de Sciences de l’Éducation

Genève

Tendresse et violence


Introduction


Je lis, depuis un certain temps, des récits qui ne sont pas ceux de la tendresse. Je les ai commencés, parce que je voulais comprendre comment un récit témoigne d'une expérience, mais aussi d'une pratique. Il s'agit des Récits de Kolyma de Varlam Chalamov1, qui racontent l'intolérable des camps russes staliniens. En pensant à cette conférence où de tendresse j'allais devoir parler, j'étais certaine ne

pas découvrir ce mot, là où n'existe rien d'autre qu'une survie et une dignité de vivre au plus loin de l'innommable, avec une question lancinante de celui qui écrit: "Dans cet enfer, suis-je resté un humain?" A chaque page, de la violence, du mépris, des trahisons, la mort. Pourtant, comme l'écrit Alain Badiou2, ce livre est "proprement admirable, donne forme d'art à l'éthique vraie".

Dans ces mots qui décrivent la faim, le désert blanc à moins cinquante degrés, l'utilisation de l'homme par l'homme, une force immense est octroyée; dans la quotidienneté, une dignité humaine, quelque chose de soi à soi. Chalamov n'est pas tendre vis-à-vis de lui. Il n'aurait pas survécu. Il devient dur, indifférent, n'a même plus d'angoisse, il s'arrange à vivre et à éprouver ce qui peut être encore un plaisir : du pain, un arbre, un réchauffement. La vie et la mort lui sont égales. De cela, on n'en revient pas, on ne peut en sortir, il le clame. "Les récits de Chalamov, écrit Andrei Siniavski dans sa préface, sont un manuel de résistance des matériaux, appliquée à l'homme. Les techniciens et les ingénieurs la connaissent car ils s'occupent de production, de construction. Mais pour nous, à quoi bon ? Comme point d'appui. Pour connaître les limites. Et pour nous rappeler, nous rappeler toujours, tout en nous laissant aller aux rêves et aux tentatives, de quoi nous sommes faits. Pour cela, quelqu'un devait dresser le bilan de Kolyma, le bilan de l'homme. Nous ne pourrons tenir bon avec des châteaux en Espagne. Mais connaissant le pire, on peut encore essayer de vivre". Cette résistance de l'humain dans ce qui est force de vie provoquera, peut-être, chez le lecteur, le courage de continuer la sienne sans se trahir, à la poursuite d'un processus de vérité, sans croyance en une vérité toute-puissante qui cause tant de désastres.