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Célestin FREINET


Encyclopaedia Universalis -

Jacques Pain - 2007

Célestin Freinet, instituteur, est certainement le plus grand pédagogue français  du 20è siècle. Son nom , qui est aussi celui de son mouvement, le « Mouvement Freinet », est connu dans des dizaines de pays, en Europe bien sûr, mais aussi en Amérique centrale, en Amérique latine, en Afrique, au Moyen et en Extrême Orient. On retrouve un certain nombre de « compagnons » de Freinet, ou de membres  du mouvement, à l’origine ou parmi les fondateurs de structures coopératives nationales. Freinet ayant été lui-même  créateur de coopératives agricoles et enseignantes.

Nous avons pu ainsi voir des écoles ou des groupes, s’en réclamant, en France, au Mexique, au Brésil, au Japon, très récemment. Ce qui est particulièrement marquant, c’est que le mouvement Freinet -et Freinet lui-même- furent de notoriété internationale dés les années trente, et incontestablement mondiale dans les années cinquante.

Mais, disons le d’entrée, Célestin Freinet n’est ni séparable de sa femme, Elise Lagier Freinet, tout autant institutrice et artiste, décisive sur l’expression libre, primée nationalement pour le dessin et la gravure, ni des cinq cents compagnons du début des années trente, des milliers des années cinquante, et des dizaines de milliers  qui en furent, et « en sont », jusqu’à présent. Il y a parmi ces enseignants de véritables experts des « pédagogies actives », et nous insisterons d’emblée sur le fait qu’elles ont de surcroît gagné, depuis l’école, progressivement, le terrain de l’animation, de l’éducation, du travail social, en réseaux et noyaux d’influence qui demeurent vivants et exemplaires. Nous avons là une pédagogie à visages multiples.


Quelques dates.

Célestin Freinet est né en 1896 à Gars, dans les Alpes Maritimes. Il fait ses études à Grasse, à l’Ecole Primaire Supérieure, puis à l’Ecole Normale de Nice, pour devenir instituteur. Il épouse Élise en 1926.

Sa tombe est à Gars. Il faut savoir que cette région alpine et sauvage dont l’imaginaire ne le quitta jamais, le fit instituteur, militant avant la lettre des Droits de l’Enfant, et de la différence, acteur engagé et national de l’école et de la politique éducative française.

La campagne  de Maurras et de la droite dure des années « hitlériennes » contre Freinet, communiste « critique » (1932), le voit écarté de l’Education Nationale pour des raisons politiques.C’est « l’affaire de St Paul »(1932-33). Il fonde et construit, avec ses soutiens amis, intellectuels, paysans locaux, immigrés et réfugiés,  son école, « Le Pioulier » (1935).

Il sera placé en détention dans le camp de concentration de St Maximain le 16 mars 1940. Libéré, en résidence surveillée, il participera à l’organisation de la résistance, et deviendra dirigeant du maquis de La Vallouise, jusqu’à la libération de Gap, en 1944. Reconnu par la résistance, il sera aux côtés de Langevin et Wallon, et de leur « Plan » de rénovation de l’école, mais là aussi « critique ».

Jean Paul Le Chanois fera en 1949 un film « Freinet » qui reste historique : L’école Buissonnière, avec Bernard Blier dans le rôle de Freinet.

Daniel Losset vient de réaliser en 2006 un autre film : Le maître qui laissait les enfants rêver.

Nous avons à faire avec Freinet et son mouvement à une véritable refondation de l’école, remise fondamentalement en contact avec la vie et la réalité.

Le savoir  n’est pas né à l’école. Il vient de la vie quotidienne et de l’intelligence sociale.

Le Pioulier, acquise par l’État, est devenue école publique expérimentale, dirigée par Madeleine Freinet, la fille des Freinet, et Jacques Bens, son mari, et sera inscrit au patrimoine du 20è siècle des Alpes maritimes, en 1995.


Le contexte.

Freinet constitue son mouvement dans un contexte historique où la pédagogie prend une grande importance.

Tout d’abord depuis la révolution française, Voltaire et Rousseau, l’idée de l’enfance est devenue un enjeu politique important, un gage de société. Ensuite on sait désormais ce que peut faire l’éducation, et la fin du 19è siècle, le début du 20è verront surgir de multiples « écoles nouvelles », et des instituts d’études de l’enfance, dans toute l’Europe et aux Etats Unis comme en Union Soviétique. Les Sciences Humaines sont là. Citons Pestalozzi, Montessori, Dewey, Makarenko. L’hypothèse est que des enfants « instruits » et éduqués différemment feront une société différente. Enfin, la mutation mondiale, on parle déjà de « globalisation », est en cours, et l’Europe est colonialiste, guerrière, et la France en particulier sort de la « grande guerre ». Freinet a connu Le chemin des dames, il en revient blessé, handicapé, et pacifiste militant. Il sera très vite soutenu par Barbusse.

En 1922 il est à Altona, prés de Hambourg, chez les « maîtres libertaires », en 1925 en URSS, où il rencontre la femme de Lénine. Ses premiers compagnons et lui sont avides de connaissances et de  méthodes. Ils iront les chercher dans les pédagogies novatrices, partout où elles sont.


Le mouvement Freinet.

C’est par une correspondance scolaire fameuse que Freinet, de Bar sur Loup, et René Daniel, de Trégunc, ouvrent la dynamique des correspondances, échanges, voyages, dés 1924, qui marqueront la pédagogie active « Freinet ». Il participe au congrès international de l’Education Nouvelle, adapte une presse à imprimer pour faire un journal dans sa classe, saisit l’opportunité des bavardages et des jeux d’enfants  pour inventer avec Elise le Texte Libre et l’expression libre.

En 1927 se tient à Tours le premier congrès de « L’imprimerie à l’école » . En 1929 avec Roger Lallemand, ils ont l’idée du Fichier Scolaire Coopératif, puis de la Bibliothèque de Travail, ces outils de ressourcement du travail en petit groupe, ou individualisé. Car pour apprendre, il faut autre chose que le maître, il faut « en plus » l’encyclopédie de la vie. Les Bibliothèques de Travail sont d’une grande rigueur scientifiques, et souvent co-signées par des scientifiques, des artistes, des créateurs reconnus.

En 1935 il fonde avec les autres mouvements pédagogiques, et spécifiquement le Groupe Français d’Education Nouvelle (Henri Wallon), le Front de l’Enfance.

Le 30 décembre 1945, la Coopérative de l’Enseignement Laïc (1928) tient sa nouvelle Assemblée générale, en Seine et Oise. En 1947 naît l’ICEM, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne. En 1957 a lieu le congrès fondateur de la FIMEM, Fédération Internationale des Mouvements de l’Ecole Moderne.

L’Association « Les Amis de Freinet » et son journal, ses archives, a pris de l’ampleur et de l’actualité grâce à Hervé Moullé, et son président Guy Goupil.

Nous estimons autour de 100 000 les enseignants attachés aux Techniques Freinet dans le monde. Mais l’influence ne se chiffre pas. Dés la mort de Freinet, le 8 octobre 1966, elles sont le canevas des Instructions Officielles françaises, et le resteront.


La classe coopérative : une matrice démocratique d’apprentissage de « haut niveau ».

La coopérative ne s’insère pas plus ou moins harmonieusement dans la vie de la classe, elle est la classe même, écrit Fernand Oury, disciple direct de Freinet et fondateur de la Pédagogie Institutionnelle. La classe est alors ce laboratoire de savoirs où des élèves en chair et en os cherchent à comprendre le monde. On y écrit beaucoup, des journaux, des textes libres, à son gré, on y correspond, avec une ou plusieurs classes plus ou moins lointaines, seul ou en groupe, on en sort pour des enquêtes, des visites, des travaux guidés, dans des institutions, des usines, ou pour des voyages, à la rencontre des correspondants. C’est la « classe hors les murs » !

Michel Barré nous donne, dans sa proximité avec Freinet, ses indicateurs :

Dialectiser l’oral et l’écrit, écrire pour parler à distance ou en différé.

L’école est du travail, c’est là que se « travaille » la vie.

Le savoir n’est pas hiérarchique, nous « faisons ensemble ».

L’individuel se ressource en collectif, nous savons aujourd’hui que la jeunesse se socialise en groupes. Mieux vaut des groupes « d’école » !

Coopérer.

S’appuyer sur « l’espace public », et donc le quartier, le village, la ville…

Rompre avec la scolastique « médiévale » : le « par cœur », le commentaire des textes, sans retour au terrain, la « glose » en université, loin du monde.

Fernand Oury, quant à lui, condense ainsi la pédagogie Freinet :

Embrayer sur la vie, de l’enfant, du quartier, de la ville...

Eviter la scolastique, « tout  comportement, toute réaction, tout travail spécifique au milieu scolaire ». Inventer, ne jamais répéter ! Nous enseignons  à des sujets en construction.

Utiliser l’acquis, « la marche et le langage parlé ont été acquis par des processus qui, même s’ils sont mal connus, se sont révélés efficaces ».

Retrouver les désirs profonds, « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif », disait Freinet.

Donner du tirage, c’est à dire placer les élèves dans des situations où lire, écrire, compter, deviennent des nécessités.

Cette façon de faire, de penser, d’apprendre, peut se transposer dans d’autres secteurs de la recherche sociale, non plus seulement au niveau de la classe, mais aussi à celui de l’école, du centre social, de l’antenne « jeune », du foyer de placement ou d’accueil, du quartier. C’est le grand défi de l’éducation : Vivre ensemble, et apprendre de la vie, être vivant, pour vivre.


Les praticiens chercheurs du savoir.

Freinet et son mouvement ont permis la formation d’experts enseignants, qui d’ailleurs se retrouvent aussi bien dans le premier et le deuxième degré, que dans l’enseignement supérieur. Citons ici, parmi bien d’autres, Jean Le Gal, grand défenseur des Droits de l’enfant, et instituteur/professeur en IUFM, Paul Le Bohec, spécialiste européen de l’expression libre et du « raccrochage », et bien sûr Fernand Oury.

Fernand Oury a conçu, pensé la pédagogie institutionnelle, au cœur même de la pédagogie Freinet. Rompu aux discussions avec Jean Oury, à propos de la psychothérapie institutionnelle, de la psychothérapie par « l’Institution », qui décide de faire de l’hôpital une coopérative de soins, et met en place  des conseils, des journaux, des « métiers », des correspondances avec d’autres institutions, de l’expression libre. Car les fondateurs de la psychothérapie institutionnelle avaient lu et rencontré Freinet.

« Les mots qui ne sont que des mots sont presque des mensonges », écrivait Barbusse. Ajoutons-y cette dédicace  de Jean Vial: « Freinet est mort. Il est des morts qui vivent intensément ».


Bibliographie.


Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, 2 tomes, Paris, Seuil, 1994.

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, 2 volumes, Michel Barré, Mouans Sartoux, PEMF (Mouvement Freinet), 1996. Réédition Les Amis de Freinet, en ligne.

Célestin Freinet, Patrick Boumard, Paris, PUF, 1996.

Comprendre la pédagogie Freinet. Genése d’une pédagogie évolutive, Guy Goupil, Mayenne, 2007.

De Freinet à la pédagogie institutionnelle, ou l’école de Gennevilliers, Ahmed Lamihi, Vauchrétien, Ivan Davy, 1994.

De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, Aïda Vasquez, Vigneux, Matrice, 1995 (1ère édition, Maspero 1972).

De l’écolier écoeuré à l’enseignant novateur, Raymond Fonvielle, Vauchrétien, Ivan Davy, 1996.

Elise et Célestin Freinet, correspondances, Paris, PUF, 2004.

Freinet à Vence, vers une reconstruction de la forme scolaire, Rennes, Presses Universitaires, 2007. Henri Louis Go,

Freinet et l’école moderne, Ahmed Lamihi (sous la direction de…), Vauchrétien, Ivan davy, 1997.

Freinet, 70 ans après, une pédagogie du travail et de la dédicace ?, sous la direction de Henri Peyronie, Presses universitaires de Caen, 1996.

La pédagogie Freinet. Mises à jour et perspectives, sous la direction de Pierre Clanché, Jacques Testanière, Presses universitaires de Bordeaux, 1994.

Le centenaire de Célestin Freinet, Cahiers Binet Simon, Ramonville St Agne, Érés, 1996.

L’école buissonnière,ce de destins, Paul Le Bohec, Paris, L’Harmattan, 2007.

Le maître qui ap Film de Jean-paul Le Chanois, avec Bernard Blier dans le rôle de Freinet, 1949.Dauphinois de l’École Moderne, 1985.

L’école réparatriprenait aux enfants à grandir, Jean Le Gal, ICEM, Paris, Éditions Libertaires, 2007.

Le mouvement Freinet au quotidien, des praticiens témoignent, Les Amis de Freinet, Brest, Éditions du Liogan, 1997.

Le mouvement Freinet : des origines aux années quatre vingt, Luc Bruliard, Gérald Schlemminger, Paris, L’Harmattan, 1996.

Les enfants de Freinet, jacques Mondoloni, Paris, Le temps des cerises, 1996.

Les techniques Freinet de l’école moderne, Célestin Freinet, Paris, Armand Colin, 1982.

Le temps de vivre ensemble, sur les pas de Freinet, Madeleine Porquet, Brest, Brud nevez, 1983.

Naissance de la pédagogie autogestionnaire, Raymond Fonvielle, Paris, Anthropos, 1998.

Naissance d’une pédagogie populaire, Élise Freinet, Paris, Maspéro, 1981.

Qu’est ce que la pédagogie Freinet ?, Patrick Robo, Lyon, Voies livres, 1996.

Souvenirs de notre vie, 2 tomes, Madeleine Freinet, Paris, Stock, 1997.

Une école Freinet :Fonctions et effet d’une pédagogie alternative en milieu populaire, Yves Reuter (sous la direction de…), Paris, L’harmattan, 2007.

Vers une pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, Aïda Vasquez, Vigneux, Matrice, 1993 (1ère édition, Maspero 1967).


WEB :

Les Amis de Freinet : http://www.amisdefreinet.org

Ce site est une mine, il concentre les informations sur le Musée Freinet de l’INRP Rouen, sur les archives Freinet de Mayenne, sur le mouvement français, et belge, cf. le site de Henry Landroit, et bien d’autres choses.

Mouvement Freinet : http://www.icem-pedagogie-freinet.org

Freinet international : http://www.fimem-freinet.org

----- Message d'origine --

De: Catherine Chabrun <catherine.chabrun@

wanadoo.fr>

Date: Thu, 6 Aug 2015

Sujet: [adherents-amisdefreinet] L’Éducateur prolétarien


Bonjour,

Pour ma recherche personnelle sur Freinet et les années du Front Populaire, j'ai pu saisir les textes de l'Educateur Prolétarien archivés sur le site de l'ICEM.

Pour voir le début de mon travail :

http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/45061

Cependant, il manque beaucoup de numéros de l'année 1936 : juin 1936 n ° 17 et 18 ( s'il y en a eu un), à partir d'octobre 1936, puis début 1937 : n° 2, n° 3, n° 4, n° 6, n° 7, n° 8, n° 10.

Le musée les a-t-il ? ou peut-être des adhérents.

On verra ensuite comment les consulter ou les récupérer...

Merci

A vous lire

Amitiés