définition de la “Pédagogie institutionnelle”

 

Pédagogie institutionnelle

in Encyclopédie  Universelle. Paris : 2005, 2 p.

La « pédagogie institutionnelle » date de 1958. Du moins son « appellation contrôlée », par Jean Oury et Fernand Oury, au congrès du mouvement Freinet qui se tint cette année-là à Paris. Jean Oury se rapporte alors explicitement à la « psychothérapie  institutionnelle » (1952) et à ce mouvement historique de pensée qui vise à resituer l’être humain, au cœur des institutions qui fondent et règlent la société (1936).

« Il n’est que de rappeler un singulier événement qui devait aider à transformer radicalement l’hôpital : lorsque nous y introduisîmes une presse Freinet, petit format, empruntée à une école voisine. Aidés par quelques malades, nous commençames à imprimer un bulletin… Les quelques points que j’ai cités : imprimerie, club, ateliers, suffiront, je l’espère, à tenir dépliée devant vous la toile tramée de nos tâches quotidiennes… C’est dans cet état d’esprit que j’avais proposé il y a quelques années, le terme de « Pédagogie Institutionnelle »… pensant que ce n’est pas par hasard si ces grandes architectures – Hôpital et école – posent simultanément des problèmes analogues… » (Jean Oury).

Il s’agit en somme de considérer que les échecs et les réussites de chacun(e) d’entre nous sont construits à trois niveaux d’identité : l’histoire familiale et sociale ; les situations « institutionnelles », bien sûr familiales, scolaires et professionnelles ; la personnalité propre, sa psychologie et ses comportements. Et que les situations institutionnelles concentrent la problématique psychique et sociale quotidienne de l’être humain. D’où l’idée simple et structurante de considérer les institutions elles-mêmes comme des lieux psychiques, et alors de les reprendre, de les « rectifier » (Célestin Freinet), de les « aseptiser » (Jean Oury), pour qu’elles ne nuisent pas davantage, et éventuellement qu’elles autorisent l’émergence et la parole de sujets.

« Qu’entendons nous par « institutions » ? La simple règle qui permet d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution. L’ensemble des régles qui permet de définir « ce qui se fait et ne se fait pas » en tel lieu, à tel moment, ce que nous appelons les lois de la classe, en sont une autre » (Fernand Oury).

La pédagogie et la psychothérapie institutionnelles ont la détermination de faire de nos institutions des lieux de vie, chacune de ces institutions ayant cependant toute sa spécificité, éduquer, enseigner, former, produire, servir, mais restant le réel contexte ordinaire des professionnels et des usagers.

Fernand Oury, instituteur sans formation normalienne, se retrouve après la deuxième guerre mondiale enseignant du jour au lendemain dans la banlieue parisienne, où il est né (1920). Dans l’effervescence de la libération, il va se former sur le tas, en se servant de ce qu’il connaît, les techniques d’expression, de travail en groupe, de dynamique des groupes, connues par les colonies de vacances et validées par les réussites de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse. L’école, la classe, sont des institutions comme les autres, où il est nécessaire de rester dans la spécificité, nous le disions, mais en n’oubliant pas qu’il y a là un groupe, voire des micro-groupes d’intérêts, humain(s), et que la conscience et la raison n’épargnent pas les éruptions de l’inconscient. Apprendre n’est en rien donné, il ne suffit pas d’enseigner. Quelle reconnaissance soutient l’élève « mal cultivé » dans l’école des maîtres ? Qui sait où se nichent motivations et désir ? Même à l’école, nous restons en société.

Des techniques, les groupes, l’inconscient ! On mesure alors la complexité du savoir aujourd’hui requis pour enseigner ou éduquer, car la pédagogie institutionnelle déborde l’école et la classe, et s’est installée dans le travail social et les institutions de remédiations. Sa force de cadrage et d’organisation en font une pédagogie de contention de la violence autant que de protection des personnes, autorisant et libérant l’apprentissage, la formation, le travail. Des Lieux, des Limites, des Lois, partagées, permettent un Langage commun, nous apprend-t’elle. L’intelligence se porte mieux en sécurité. Le désir, paradoxalement tient à la loi.

Les classes « actives » impulsées par le mouvement Freinet (utilisant le conseil de coopérative, le journal, la correspondance, le texte libre, les sorties-enquêtes, les métiers) entrent avec la pédagogie institutionnelle « en analyse », en laissant toute leur place au groupe et à l’individu.

Il y a aujourd’hui plusieurs milliers de classes en Europe, voire dans le monde, qui s’inspirent de la pédagogie Freinet et de Fernand Oury ; voire des écoles, comme celle de La Neuville (Seine-et-Marne). Et des groupes de formation continuent de proposer des stages, des suivis, des interventions.

L’école et les institutions françaises en crise ont plus que jamais à penser socialement leur éthique de travail et leur qualité de vie.

Car, comme le dit Jean Oury, médecin-chef de la clinique de La Borde (Cour Cheverny), la psychothérapie et la pédagogie institutionnelles, « c’est la même chose ». En effet, soigner son psychisme et sa pensée, c’est soigner aussi son quotidien.


Bibliographie :

Vers une pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, Aïda Vasquez, Paris, Maspéro, 1967, réédité par Matrice, Vigneux, 1990.

De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, Aïda Vasquez, Paris, Maspéro, 1971.

Chronique de l’école caserne, Jacques Pain, Fernand Oury, Paris, Maspéro, 1972, réédité par Matrice, Vigneux, 1998.

Qui c’est l’conseil, Catherine Pochet, Fernand Oury, Paris, Maspéro, 1979, réédité par Matrice, Vigneux, 1997.

Une journée dans une classe coopérative, René Laffitte, postface de François Tosquelles, Paris, Syros, 1985, réédité par Matrice, Vigneux, 1997.

L’année dernière j’étais mort, Catherine Pochet, Fernand Oury, Jean Oury, Vigneux, Matrice, 1986.

La pédagogie institutionnelle d’intervention, Jacques Pain, Vigneux, Matrice, 1993.

De la pédagogie institutionnelle à la formation des maîtres, Dominique Bois, Danielle Emo, Nadine Jussaume, Jacques Pain, Bruno Robbes, Marie-France Schrèque, sous la direction de Jacques Pain, préface de Philippe Meirieu, Vigneux, Matrice, 1994.

Pédagogie institutionnelle, mise en place et pratique des institutions dans la classe, Françoise Thébaudin, Fernand Oury, Postface de Jean Oury, Vigneux, Matrice, 1995.

Mémento de pédagogie institutionnelle. Faire de la classe un milieu éducatif, René Laffitte et le groupe Vers la Pédagogie Institutionnelle, Vigneux, Matrice, 1999.


Cf. les éditions Matrice, 71 rue des Camélias, Vigneux, 91270, et la collection « Les classiques de la pédagogie institutionnelle ».

non téléchargeable ©  

Voir aussi:

Entretien avec Fernand Oury (1975)