Fernand Oury: un homme est passé
« Qu’est-ce qu’un milieu éducatif ?
Qu’est-ce qui fait que là, on vit plus et mieux qu’ailleurs ?
Qu’est-ce qui fait progresser enfants et adultes ?
Et comment faire ?
Depuis un quart de siècle, nous essayons, à partir de la description et de l’analyse de classes “ insolites ” souvent isolées dans des écoles casernes, de répondre à ces questions. Autrement que par des discours.
“ C’est à d’autres travailleurs, à ceux qui font ou tentent de faire que nous offrons ce travail… nous en sommes à la préhistoire… Cro-Magnon de la pédagogie, inlassablement, nous taillons nos silex, des outils qui pourront servir à d’autres. ”
Brûlant tout, certains “ révolutionnaires ” ou se croyant tels, se sont improvisés pédagogues.
Ils ont cru nécessaire et possible de tout réinventer, de repartir de zéro.
D’où certaines écoles nouvelles ou parallèles qui ne valent pas beaucoup plus.
Dommage, car l’enthousiasme y était et à présent on peut faire l’économie de certains pataugeages; des techniques bien rodées permettent d’acquérir le primaire, c’est-à-dire le primordial : parler, lire, écrire, compter.
D’autres techniques font de la classe, de l’école, un milieu de vie institutionnalisé où la loi naît de la parole des enfants, où la parole naît de la loi.
D’une loi autre, bien sûr, d’une loi qui autorise le désir.
Naît ainsi un milieu autre où l’organisation devient la condition de la liberté, la liberté condition de l’organisation.
On ne comprend plus? Tant pis. Peut-être est-ce intraduisible en français ?
Savoir qu’à présent autre chose est possible, qu’on ne peut plus se permettre ou se contenter de rêver la pédagogie. »
C’est dans un courrier, daté de 1978, et qui nous était adressé que Fernand Oury énonçait quelques-unes des règles qui avaient fait de sa classe, de l’école, le lieu d’instruction, d’éducation, de civilisation qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être dans notre Société qui ne sait d’ailleurs pas faire sans.
Un discours que l’on peut être surpris de trouver, aujourd’hui, non dans le mémoire d’un théoricien mais sous la plume d’un simple instituteur tant on a oublié l’importance de ce métier.
Comme on a oublié que l’instituteur est celui qui institue. On l’appelait aussi, autrefois, le maître.
Fabienne d’Ortoli et Michel Amram
Les compléments de programme
Trois exemples de pratiques institutionnelles au XXe siècle
La colonie Gorki et la Clinique de La Borde en amont, la classe coopérative de la Pédagogie Institutionnelle, en aval font sans aucun doute partie des institutions éducatives et thérapeutiques les plus marquantes du siècle.
Autour de l’œuvre de Fernand Oury et pour compléter un film qui aurait pu faire le double de sa longueur sans épuiser le moins du monde le sujet, nous souhaitions proposer d’explorer, un peu plus avant, ces trois exemples de pratiques institutionnelles au XXeme siècle, déjà mises en exergue dans « Un homme est passé » afin de mieux comprendre les liens tissées de l’une aux autres.
Makarenko ou Les Chemins de la Vie :
On pourra voir dans ce document des extraits du film inspiré de la vie et de l’œuvre d’Anton Semionovitch Makarenko : « Les Chemins de la Vie. » commentés par Jacques Pain et Michel Amram, du double point de vue de l’histoire de la pédagogie et de l’histoire du cinéma.
Dans les années 20, immédiatement après la révolution de 1917, les réalisateurs soviétiques se voient assigner la mission exaltante de magnifier les événements sociaux, politiques et culturels qui venaient de se dérouler et se poursuivaient encore…
Par une série de films épiques, innovants et résolument populaires, les Eisenstein, Dovjenkho, Poudovkhine et bien d’autres allaient forger de nouveaux éléments du langage cinématographique et grandement participer à créer le cinéma moderne.
Quelques temps après, en 1931, le premier film soviétique parlant, sera consacré à… Makarenko, le pédagogue de la Colonie Gorki, l’auteur du « Poème pédagogique ». C’est, rétrospectivement, étonnant de le voir ainsi reconnu, et même cité en exemple, comme une sorte de héros de la Révolution, à peine dix ans après qu’il ait entamé son action auprès de la jeunesse soviétique en déshérence.
Il est intéressant aussi de constater que les pouvoirs publics de la jeune République socialiste consacrent à leur action éducative des moyens « publicitaires » aussi importants.
Plus encore, le film de Nikolai Ekk est une œuvre qui valorise vraiment la pédagogie mise en place par Makarenko et les initiatives du pédagogue. Plusieurs anecdotes sont présentées de façon détaillée et présentent le caractère novateur et audacieux des partis pris éducatifs de Makarenko. Rien de semblable, dans un film non documentaire, ne nous a été donné de voir depuis quelques 80 ans !
Enfin, on ne peut pas ne pas souligner le choix de l’acteur pour interpréter le rôle du pédagogue ukrainien. Sorte de colosse, l’acteur Nikolai Balatov incarne un Makarenko dont l’autorité morale est transposée sur le plan physique pour donner l’image d’un homme soviétique, sûr de sa force, séduisant en diable et terriblement efficace auprès des enfants perdus.
Il était inimaginable, en effet, je suppose, de présenter une image d’éducateur modèle petit et chétif, portant des lunettes d’intellectuel comme l’était Makarenko dans la vie réelle. Ce n’était tout simplement pas… assez cinématographique. Après tout, en d’autres lieux, c’est Henry Fonda qu’on a choisi pour jouer Abraham Lincoln et Ingrid Bergman pour le rôle de Jeanne d’Arc !
Les Chaises. Avec Jean Oury à La Borde
Un court entretien et une petite promenade dans la Clinique de la Borde sur le thème, cher à Jean Oury, « le chemin se fait en marchant. »
Evoquant, tour à tour, la fondation de La Borde, St Alban et Tosquelles, la notion de collectif, celles encore plus subtiles du statut, de la fonction et du rôle de chacun, le psychiatre par ses propos lumineux éclaire les pratiques institutionnelles comme, La Borde depuis des décennies, est un phare et une institution référence pour tant de soignants et d’éducateurs
Le Petit Diaporama de Catherine Pochet
Pendant des années, Catherine Pochet, avec une constance militante a projeté devant divers publics d‘enseignants ou de professionnels de l’éducation son diaporama, lequel accompagné de son commentaire était une véritable leçon de pédagogie appliquée. Faute de disponibilité, elle le fait de moins en moins mais grâce à la vidéo le voilà prêt à être diffusé partout et tout le temps pour le plus grand bonheur de tous les apprentis praticiens de France et de Navarre.
En voici la présentation par Jacques Pain.
Catherine Pochet c’est une des figures de base de la Pédagogie Institutionnelle. On le voit très bien dans « Qui c’est l’ conseil », l’un des livres les plus denses, les plus complexes et les plus forts de la P.I. Catherine Pochet c’est une institutrice de la grande banlieue qui a eu la chance, -à travers les groupes, en lien avec La Borde et par des monographies, et en particulier la monographie Miloud, « L’Année dernière j’étais mort…» un autre livre clé-, de pouvoir aller jusqu’au bout de cette formation dans ce qu’elle a, à la fois, de pédagogique et de psychanalytique.
Avec ces deux livres, on a toute la palette qui était mise en œuvre par Catherine Pochet dans sa classe qui était un peu le miroir de la Pédagogie Institutionnelle, avec autour d’elle les principaux protagonistes de cette théorisation, de cette lecture : Fernand Oury, Jean Oury, La Borde, le groupe AVPI, etc.
Elle a pu faire tout ce travail avec sa grande précision, et on pourrait presque dire sa dimension obsessionnelle et sa minutie dans l’organisation de la classe, et dans la pensée des éléments qui la constituent ce qui faisait de cette classe une société démocratique ouverte. Catherine Pochet y a réussi particulièrement bien. Comme un certain nombre d’autres d’ailleurs, parmi les grands praticiens de ce mouvement : Mireille et René Laffitte, Patrice Buxéda, etc. Voilà des gens ont su faire passer la dimension de formation que j’évoquais tout à l’heure jusqu’au point où l’on sent que le maître a lui-même a intégré comme style de vie ce qui est resté, chez d’autres, uniquement à l’état de technique.
« Le désordre, ce n'est pas quand les enfants piaillent et gesticulent, quand ils font ce qu'ils veulent, jouent au lieu de travailler ou cassent les fauteuils. Ils peuvent indéfiniment redire et chanter leur enfance, transgresser la loi qui ferait d'eux des hommes entiers.
Ce désordre là est plutôt sympathique, cette éducation là n'est pas mauvaise, elle sera même, et de plus en plus, vivement recommandée. quoi de plus charmant qu'une masse d'imbécile heureux ? Quoi de plus commode à manipuler ?
Le désordre, c'est quand les enfants parviennent à faire ce qu'ils ont, ensemble, décidé de faire; quand il ils prennent la parole, organisent, partagent, pouvoir et responsabilité : quand ils prétendent exister.
Le danger est là. La peur aussi. Dogues, limiers, corniauds, les chiens de garde de tout poil vont donner de la voix. »
Fernand Oury, 1970
Fernand Oury: un homme est passé
dimanche 28 novembre 2010
Editions
Frémeaux & Associés Télévisions
& L’Ecole de La Neuville