Lettre d’André Breton

André Breton au Lycée Chaptal

Dans les années soixante et au début des années soixante dix, j’étais à l’université de Nanterre étudiant en Psychologie, Philosophie,  et en Sciences de l’Éducation,  et surveillant d’externat au Lycée Chaptal (Paris 8è). Je découvris dans les archives du lycée entre autre des cahiers d’André Breton, et je lui écrivis alors pour lui demander l’autorisation de les lire.
Voici ce qu’il me répondit:

« Monsieur,

 Je suis hostile à toute entreprise tendant à me réduire à l’« élève » que j’ai pu être. En cet enfant passablement hagard puisque encore inconscient de ses propres raisons d’être et à coup sûr traqué (de par l’appareil coercitif mis en œuvre conjointement par les parents et le personnel enseignant) je ne me reconnais quelque peu que sur le plan affectif, où mes réactions d’alors étaient, par nécessité, sérieusement gardées pour moi. Je vois mal, par conséquent, ce qu’on pourrait trouver de valable dans mes « copies  » scolaires ou dans la manière dont, sans goût, j’ai pu affronter telle ou telle compétition. Quant à ces vers, perdus dans un pauvre journal d’écolier, comme ceux qui leur seraient contemporains ou antérieurs je les tiens pour des balbutiements et souhaite qu’on en épargne la lecture à qui veut bien s’intéresser à moi.
Passant avant-hier devant le bâtiment Chaptal – quitte de la vue en plongée qu’on a sur l’enchevêtrement de ces rails dont Mallarmé confiait que pas un jour ils ne lui avaient fait grâce de la tentation de se jeter du pont sur la voie – j’ai constaté avec quelque surprise que les travaux de nettoyage ne lui avaient pour moi rien enlevé de son opacité. Je souhaite, Monsieur, que l’intérieur vous soit plus clair et que vous l’éclairiez pour ceux qui vous écoutent. »

André Breton[1]

[1] Cf. Oury F., Pain J., Chronique de l’école caserne, Maspero 1973, réédition Vigneux, Matrice.